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(Gendai bijutsu sengen) par Jirō Yoshihara, extrait de Geijutsu shincho (Nouvelles Tendances artistiques), Tōkyō, décembre 1956, traduction de Kieko Hashiguchi.
GUTAI
est l'un des plus importants mouvements fondateurs
de l'art contemporain mondial.
Révélé en France et en Europe par Michel Tapié,
son influence sur l'art nord-américain et européen
reste sous-estimée.
Le terme vient de gu , instrument
et tai, corps,
son adverbe gutaiteki, incarnation, concret,
qui s'oppose donc à l' abstrait,
c'est-à-dire à l'art abstrait.
Ce texte fonde le mouvement Gutai et ouvre la voie à l'art contemporain japonais.
Ce qui suit est un extrait donnant l'essentiel :
« Désormais, l'art du passé apparaît,
à nos yeux, comme une supercherie, sous le masque
d' apparences à première vue signifiantes.
Finissons-en avec le tas de simulacres qui encombrent les autels, palais, salons et magasins de brocanteurs.
Ce sont tous des fantômes trompeurs qui ont pris les apparences d'une autre matière :
magie des matériaux
- pigments, toile, métaux, terre ou marbre -
et rôle insensé que l'homme leur inflige.
Ainsi occultée par des productions spirituelles,la matière n'a plus droit à la parole,
entièrement massacrée.
Jetons tous ces cadavres au cimetière !
L'art Gutai ne transforme pas,
ne détourne pas la matière ; il lui donne vie.
Il participe à la réconciliation de
l' esprit humain et de la matière qui ne lui est,
ni assimilée,
ni soumise et qui,
une fois révèlée en tant que telle
se mettra à parler
et même à crier.
L' esprit la vivifie pleinement et, réciproquement
l'introduction de la matière dans le domaine spirituel
contribue à l' élévation de celui-ci.
Bien que l'art soit champ de création, nous ne trouvons aucun exemple dans le passé de création de la matière par l'esprit.
À chaque époque,
il a donné naissance à une production artistique
qui cependant
ne résiste pas aux changements.
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Il nous est par exemple difficile aujourd'hui
de considérer autrement que
comme des pièces archéologiques
les grandes œuvres de la Renaissance.
Tout rétrograde
que cela puisse paraître
de nos jours,
et l'art depuis
qui ont tout juste réussi à garder une sensation de vie,
heureusement sans trop trahir la matière,
même transformée.
Ce sont encore les mouvements comme
le pointillisme
ou
le fauvisme
qui ne supportaient pas de sacrifier
la matière,
bien que la consacrant à la représentation de la nature.
Néanmoins,
ces œuvres ne nous émeuvent plus ;
elles appartiennent au passé.
Ce qui est intéressant,
c'est la beauté contemporaine
dans les altérations
causées par les désastres et les outrages du temps
sur les objets d'art
et les monuments du passé.
Bien que cela soit synonyme d'une beauté decadente
ne serait-ce pas là que,
subrepticement,
se révélerait la beauté de la matière originelle
par-delà les artifices du travestissement ?
Lorsque nous nous laissons séduire par les ruines,
le dialogue engagé par les fissures et les craquelures
pourrait bien être la forme de revanche qu'ait pris la matière
pour recouvrer son état premier.
en ce qui concerne l'art contemporain,
nous respectons Jackson Pollock & Georges Mathieu
car leurs œuvres sont des cris poussés par la matière, pigments et vernis.
Leur travail consiste à se confondre avec elle
selon un procédé particulier
qui correspond à leurs dispositions personnelles.
Plus exactement,
ils se mettent au service de la matière
en une formidable symbiose.
Nous avons été très intéressés par les informations
que Hisao Domoto
et Sōichi Tominaga
nous ont données au sujet
de Tàpies,
Mathieu et les activités de
et sans en connaître les détails,
nous partageons la même opinion pour l'essentiel.
Il y a même une étonnante coïncidence
avec nos revendications récentes
au sujet de la découverte de formes entièrement neuves
et qui ne doivent rien aux formes préexistantes.
L'on ne sait toutefois
pas clairement si,
sur le plan des recherches possibles,
les composantes formelles et conceptuelles de l'art abstrait
- couleur, ligne, forme, etc. -
sont appréhendées dans une quelconque relation avec la spécificité de la matière.
Quant à la négation de l'abstraction,
nous n'en saisissons pas l'argument essentiel;
l'art abstrait sous une forme déterminée
a perdu tout attrait pour nous
et l'une des devises de la formation de
l'Association pour l'art Gutai,
consistait à faire un pas en avant par rapport à l'abstraction,
et c'est pour nous en démarquer
que nous avons choisi le terme de "concret" ;
mais également et surtout parce que nous voulions nous positionner de manière ouverte sur l'exterieur,
en opposition avec la démarche centripète
de l'abstraction.
À ce moment-là,
encore maintenant d'ailleurs,
nous pensions que le legs le plus important de l'abstraction
résidait dans le fait qu'elle avait vraiment ouvert la voie,
en ne limitant pas l'art à la simple représentation,
à de nouvelles possibilités de création d'un espace autonome digne du nom de création.
Nous avions décidé de consacrer notre énergie
à la recherche des possibilités d'une cré ation artistique pure.
Pour concrétiser cet espace « abstractionniste »,
nous avions essayé de créer une complicité entre les dispositions humaines de l' artiste et la spécificité de la matière.
Nous avions en effet été étonnés par la constitution d'un espace inconnu et inédit
dans le creuset de l'automatisme
où se fondaient les
dispositions propres à l'artiste et le matériau choisi.
Car l'automatisme transcende inévitablement l'image du créateur.
Nous avons donc consacré tous nos efforts
à la recherche de moyens personnels
de création spaciale
au lieu de compter sur notre seule vision… »
Seiichi Sato : s’enferme lui-même
dans un sac suspendu à un arbre